« Mefisto for ever » – Théâtre de la Ville

Hier soir j’ai passé la soirée avec le diable. Un de la pire espèce: le nazisme.

Hier soir Holly et moi avons été voir « Mefisto for ever – le triptyque du pouvoir 1ère partie », une pièce de Guy Cassiers d’après le « Mefisto » de Klaus Mann.

Comme vous pourrez le constater sur le site du théâtre de la ville, les critiques de cette pièce sont très élogieuses et j’enlève tout suspense tout de suite, je me joins à elles.

Je n’ai jamais vu une pièce aussi forte, aussi puissante, aussi violente et aussi moderne dans sa mise en scène.

Le sujet: Berlin, 1936, un théâtre. Hitler et ses copains viennent d’être élus. Une troupe de comédiens est en train de répéter « Faust » sous la direction du comédien de génie, Kurt Kopler. Ces comédiens sont de tous bords politiques, de toutes religions. Certains sont ravis des résultats des élections, d’autres sont glacés d’effroi.

Kurt Kopler se veut rassurant, il est persuadé que la situation n’est pas si grave et surtout que grâce aux grands auteurs classiques ils ont les moyens de résister au système de pensée que le nouveau régime veut imposer.

Sauf que le nouveau régime n’est pas n’importe lequel, et qu’il compte bien tout exploiter – y compris les artistes vous l’aurez compris – pour assoir son pouvoir et faire passer son message au grand public.

On envoie donc le ministre de la culture, « le gros » aka Goering, discuter avec les comédiens et leur acteur vedette.

L’accueil est glacial, mais « le gros » sait être convaincant, il a le bras long, il sait flatter, caresser dans le sens du poil, passer de la pommade, menacer gentiment.

Il commence par imposer sa prostituée compagne, actrice sans talent, dans la troupe pour écorcher jouer du Shakespeare ou du Tchekov.

Il revoit ensuite l’organisation de la troupe, donne des indications de mise en scène, dirige un peu le théâtre quoi.

Pendant ce temps-là notre acteur vedette se défend d’être vendu au pouvoir, il affirme – à grands renforts de merveilleuses tirades extraites de Hamlet, Roméo & Juliette, La Cerisaie – utiliser ses relations pour protéger sa troupe, pour résister, blablabla…de compromis en compromis il finit par sérieusement se compromettre et devenir un gentil pantin entre les mains de l’ami Goering.

Il oublie la talentueuse et brillante Rebecca – sa bien-aimée – qui a fui pour cause de religion défrisant le nabot à moustache et tombe dans les bras d’une petite opportuniste fortunée avide de pouvoir.

Le pouvoir est une drogue qui peut s’avérer mortelle pour qui ne s’en méfie pas.

Après « le gros » c’est « le boiteux » qui entre en scène, à savoir Goebbels. Qui hait le théâtre depuis que Hitler lui a demandé de plaquer sa maîtresse-actrice pour retourner chez bobonne et leurs 6 enfants.

Lui aussi a des velléités théâtrales: il veut réformer le programme du théâtre, mettre en avant des pièces qui remontent le moral au public et surtout soient un bon vecteur du message de son patron vénéré.

Au diable (oui elle est facile) Goethe, Shakespeare ou Tchekov, vive Pinnochio et les chansons tyroliennes!

Le brave Kopler fait mine de résister vaguement, à coup de Shakespeare & Hamlet, mais « le boiteux » reste sourd.

Et nous gratifie d’un discours qui me glace encore le sang quand j’y repense. C’est à ce moment là que j’ai compris l’intérêt de voir la pièce en Hollandais (sur-titré). Le Hollandais peut être une langue très douce lorsqu’elle est murmurée. Hurlée dans un micro elle vous rappelle très très vite la voix douce et suave du nabot moustachu.

Pendant 5 minutes la salle a retenu son souffle et s’est pris en pleine figure un discours de propagande nazie. Terrifiant. Même entrecoupé par une intervention en arrière plan de Rebecca jouant quelque part à l’étranger et défendant la liberté le discours restait insoutenable.

Cette deuxième partie de la pièce est très dure. Le nazisme broie tout sur son passage, le théâtre est en lambeaux, Kopler une marionnette entre les mains du « gros » et on se dit que la fin de son monde n’est pas bien loin. « Il y a quelque chose de pourri dans ce pays ». Tu l’as dit bouffi, il serait temps de t’en rendre compte maintenant que tes amis et ta maman sont morts.

Le malheureux génie se retrouve bien en peine pour exprimer ses sentiments et ses regrets sans emprunter les mots des grands auteurs à une ancienne élève venue le voir à la fin de la guerre. Un poisson rouge hors de l’eau. Pathétique.

Mais le génie devrait retomber sur ses pieds puisque « le nouveau leader » (Staline) arrive et se rend vite compte de l’intérêt de récupérer à sa solde cet homme si bien entrainé à la propagande.

Les acteurs sont extraordinaires. Tous.

La mise en scène qui exploite à fond la vidéo, le son, la lumière, les effets du théâtre dans le théâtre m’a époustouflée.

Je ne sais pas s’il reste des places, mais s’il y en a jetez-vous dessus, jamais le théâtre n’aura été aussi politique et passionnant!

Mefisto For Ever
Théâtre de la Ville
Du 19 au 27 Septembre

Mise en scène Guy Cassiers
Texte Tom Lanoye d’après Klaus Mann
Dramaturgie Corien Baart, Erwin Jans
Scénographie Marc Warning
Concept esthétique, scénographie Enrico Bagnoli, Diederik De Cock, Arjen Klerkx
Costumes Tim Van Steenbergen

Avec Katelijne Damen, Gilda De Bal, Josse De Pauw, Suzanne Grotenhuis, Vic De Wachter, Abke Haring, Marc Van Eeghem, Dirk Roofthooft

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